Le coronographe

Construction d’un coronographe

par Bernard Chéron

L’observation du Soleil est une activité intéressante pour l’amateur, en raison de son aspect changeant. La surface du disque est fréquemment constellée de taches qui traduisent «l’activité» du Soleil. La chromosphère de couleur rosée est une zone de 5000km d’épaisseur, située immédiatement au-dessus du disque. Elle est constituée de gaz excités, essentiellement de l’hydrogène et de l’hélium. C’est dans cette zone que prennent naissance les protubérances, gigantesques colonnes lumineuses dont la couleur rouge est due à l’émission prépondérante d’une radiation particulière de l’hydrogène, appelée «raie Hα» (longueur d’onde 656,3nm)

La couronne s’étend bien au delà de la chromosphère, mais, à cause de la diffusion atmosphérique et des imperfections des instruments, seule cette dernière, ainsi que les protubérances, sont visibles avec un coronographe. Depuis la surface de la Terre, il faut profiter d’une éclipse totale de Soleil pour pouvoir observer la couronne.

Le coronographe est donc un instrument destiné à l’observation de la partie basse de la couronne solaire. Cette invention est due à l’astronome français Bernard Lyot qui l’a expérimenté en 1930 à l’Observatoire du Pic du Midi.

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C’est une lunette astronomique modifiée en interposant entre l’objectif (O1 et l’oculaire (O2), un ensemble optique qui élimine la lumière du disque solaire. Ceci est réaliséau moyen d’un cône métallique dont la base doit coïncider avec l’image du disque, située dans le plan focal image de l’objectif de la lunette. Une première lentille convergente (L1), généralement proche du cône, forme l’image de la monture de l’objectif dans un plan où on place un diaphragme dont le diamètre est légèrement plus petit que celui de l’image. Son rôle est de supprimer la lumière diffractée par le bord de la monture. Afin d’augmenter le contraste de l’image, on interpose un filtre centré sur la raie Hα . Il est placé entre deux lentilles convergentes (L2) et (L3), de sorte que les rayons qui le traversent demeurent sensiblement parallèles à l’axe de l’instrument. L’image définitive est observée avec un oculaire.

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La construction d’un coronographe est à la portée de tout amateur bricoleur. On trouvera de nombreux renseignements dans le livre de Pascal Mazeau et Pierre Bourge, cité en référence, ainsi que sur les sites internet des frères Rondy et de Serge Bertorello.

Je décrirai ci-dessous les aspects qui me semblent les plus importants et les choix faits pour la construction.

Choix des éléments optiques

Les deux éléments importants (et onéreux) du dispositif sont l’objectif O1 et le filtre interférentiel.
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La qualité essentielle requise pour l’objectif est son état de surface: absence de micro-rayures, de poussières et traces diverses qui, en diffusant la lumière solaire, diminuent le contraste de l’image et masquent les protubérances (la brillance des protubérances est environ 100000 fois plus faible que celle du disque). J’ai choisi une lentille simple, plan-convexe de 50mm de diamètre et de longueur focale 1m, avec un traitement anti-reflet (Thorlabs). Au foyer de la lentille, l’image du Soleil est un disque de 9mm de diamètre environ et dont les bords sont fortement irisés à cause des aberrations chromatiques. Ceci n’est pas un problème majeur car l’observation se fait dans un domaine très restreint de longueur d’onde.

Le filtre interférentiel (marque Andover, ref 656FS02-25, acheté chez Lot-Oriel ) a un diamètre de 25mm et une bande passante de 1nm centrée sur la longueur d’onde Hα (656,3nm). Une faible bande passante assure un meilleur contraste mais avec un coût plus élevé. Noter également que les filtres interférentiels présentent une dérive du pic de transmission vers le rouge lorsque la température croît. Cela entraîne une diminution de la transmission de la raie Hα, d’autant plus importante que la bande passante est faible. Les filtres de bande inférieure à 1 nm doivent être thermostatés.

Les lentilles L1, L2 et L3 (Thorlabs) ont un diamètre de 25mm et des longueurs focales respectives de 100, 200 et 150mm. Le grandissement du système(L1, L2, L3) est voisin de l’unité.

Un renvoi coudé facilite l’observation. On utilise un oculaire de 26mm pour l’observation de la totalité du disque. Pour les détails, un oculaire de 15mm est monté sur un dispositif à décentrement.

Construction mécanique

Le corps du coronographe est un tube en PVC de 100mm de diamètre, prolongé par un boîtier en contre-plaqué. L’ensemble est fixé sur un profilé en aluminium de section rectangulaire(23mm par 42mm). Le profilé supporte également l’appareil photographique. L’intérieur du tube est recouvert de tissu noir (feutrine) . Ce matériau est à mon sens le plus efficace pour limiter la diffusion de la lumière, quelle que soit l’incidence des rayons. Il présente par contre l’inconvénient de générer des poussières qui peuvent se déposer sur l’objectif. Ce dernier est donc fixé sur une monture facilement démontable et repositionnable, pour permettre le nettoyage avec de l’air sec et propre.Les éléments susceptibles d’être atteints sous faible incidence par la lumière solaire (en cas de déréglage du coronographe) sont en aluminium et recouverts d’une peinture noire spéciale résistant à la température (600°C ).

Les éléments optiques du boîtier sont fixés sur des supports en aluminium et ajustables en position et orientation.
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Le cône est également un élément important du dispositif. Il doit arrêter les rayons issus du disque solaire tout en évitant un échauffement excessif. Réalisé en aluminium, il diffuse une grande partie de la lumière incidente. Il est constitué de 2 parties concentriques: un cône de diamètre fixe 8,9mm et une collerette dont le diamètre est ajusté en fonction de la période de l’année (entre 9,2 et 9,6mm). En pratique, il faut 4 à 5 collerettes distinctes. La réalisation de ces pièces est élémentaire si on dispose d’un tour. Sinon, on peut utiliser une perceuse sur colonne. Il faut remarquer que seules les collerettes nécessitent une grande précision d’usinage. Elles sont réalisées avec des rivets en aluminium à tête plate de diamètre11mm. L’axe est taraudé au diamètre 3mm et le diamètre de la collerette est ajusté à la valeur souhaitée à l’aide de papier abrasif pour métal, très fin et collé sur une planchette. Avec un peu de patience, on obtient une couronne dont les irrégularités ne dépassent pas 1/50ème de mm. Les 2 pièces sont fixéessur un visde 3mm à tête cylindrique à 6 pans creux. La tête de vis est collée sur la lentille L1( colle acrylique à 2 composants Penloc GTI).

Le diaphragme(4,3mm) est réalisé dans une feuille de laiton de 0,2mm d’épaisseur: on perce au diamètre 4mmet on ajuste avec une lime ronde.

L’orientation et le centrage des éléments sont effectués sur table, à l’aide d’un «crayon» laser. Seule la position de l’objectif sur l’axe est ajustée en observant le Soleil.

Sécurité

L’observation du Soleil lorsque l’appareil est déréglé peut être dangereux , en particulier pour un objectif de grande ouverture et un filtre à grande bande passante .Dans le cas présent, l’objectif de50mm et le filtre de bande 1nm permettent une observation visuelle sans danger. Bien sûr, il ne faut surtout pas observer lorsque le filtre n’est pas installé.

Pour l’alignement du tube sur le Soleil, il n’y a pas de chercheur optique (potentiellement dangereux sauf si on y adjoint un filtre convenable) mais un simple système constitué de deux petits écrans fixés le long du tube et distants de 40cm. Le premier est percé d’un trou de 4mm de diamètreet sur le second on observe la trace du faisceau qui a traversé le premier. La précision du pointé est voisine de 0,1°.

Premières observations

Le coronographe est installé sur une monture équatoriale. Si l’appareil est en poste fixe, la mise en station (orientation de l’axe polaire) peut être effectuée la nuit avec les étoiles. Le jour, la situation est plus délicate, car le seul objet «astronomique» visible est le Soleil. On peut néanmoins en observant les dérives, orienter de façon satisfaisantel’axe polaire et permettre une observation sans retouches pendant quelques minutes. La dérive résiduelle ne pose pas de problème pour la photographie, les temps de pose étant de l’ordre de 1/100ème de seconde.

La découverte des premières protubérances est enthousiasmante. Le phénomène est changeant : d’un jour à l’autre car le Soleil tourne sur lui-même en 25 jours mais aussi parfois en moins d’une heure, on peut observer l’apparition et la disparition des colonnes de gaz dont la taille est plusieurs fois celle de notre Terre. Le Soleil possède un cycle d’activité de 11 ans et le prochain maximum est attendu pour 2011.

Le contraste des images dépend de l’état du ciel: un ciel très pur (après une perturbation pluvieuse est favorable. Par ailleurs, il est préférable d’observer en milieu de journée lorsque le Soleil est haut dans le ciel.

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Le cliché ci-contre a été pris à Caen (près du centre-ville), le 11 février 2008 vers 13h (heure locale).

Estimation du coût

Le coût total de construction, hors monture équatoriale, renvoi coudé et oculaires, est voisin de 650 € et constitué essentiellement par le filtre (300 €) et les lentilles avec leurs montures (200 €).

Documentation : Pascal Mazereau et PierreBourge, A la poursuite du Soleil, Eyrolles, 1985

Constructeurs amateurs : http://serge.bertorello.free.fr/ et http://astrosurf.com/rondi/

On trouve des images du Soleil et de sa couronne mises à jour quotidiennement sur le site de l’Observatoire de Meudon : http://bass2000.obspm.fr/

Fournisseurs :

Thorlabs Gmbh, Hans-Bockler-Strasse 6, 85221 Dachau, Allemagne http://www.thorlabs.com

Lot-Oriel, 4, Allée des Garays, Z.I. des Glaises, 91120 Palaiseau http://www.lot-oriel.
Document réalisé par Bernard CHERON adapté de l’article « Construction d’un coronographe » paru dans le N°69 (avril 2008) de la revue Capella, éditée par l’Association Normande d’Astronomie (ASNORA)